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Se mettre en état de faire médiation : Carl, François, Gary et moi…

Les chroniques d’Interstices Médiation #2

Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile, c’est de se mettre en état de les faire.

Constantin Brancusi.

Etre médiateur, faire médiation, faire un acte de médiation, faire une médiation… autant de vocables possibles pour annoncer un acte, voire un métier, une profession. 

Parlons de se mettre en état de faire médiation…

« Etat », selon l’une des définitions du Larousse, serait une manière d’être physique ou morale de quelqu’un. Que la médiation devienne notre nature, une manière physique et morale d’être, nous serions en état de médiation !

Une préparation ?

Je crois que j’axe cette préparation sur mon intention, ma raison intime de faire médiation, mon désir toujours renouvelé de faire médiation. Chaque médiateur sait-il ce pourquoi il choisit de le devenir ? Et de s’en souvenir, avant de débuter une médiation.

Je parle souvent de préparation physique – bien dormir, manger des sucres lents, respirer…, de préparation « émotionnelle » et psychique.

Une préparation du corps. Un corps centré, axé, ancré. Un corps qui se tient, entre ciel et terre et qui respire librement. Un corps sans tension mais vivant, alerte, presque aux aguets ! Se préparer : pour l’un du yoga, pour l’autre une marche, une promenade en nature, un temps de respiration. Pas nécessairement long mais un vrai temps, consacré à rien d’autre qu’à cela. Respirer. Se centrer. Chacun sait pour soi.

Puis une préparation de l’être. C’est plus mystérieux. Tendre pour quelques heures, de plus en plus longues, vers une façon d’être au monde qui nous paraît si difficile au quotidien. Idéalement.

Se rendre tolérant, se rendre non jugeant, se rendre ouvert, curieux, tendre. Se rendre attentif, compréhensif, empathique. Se rendre humain parmi les humains, humble. Ne plus savoir ce qui est bon pour l’autre. Accueillir.

J’ai envie de parler d’amour, c’est le sentiment le plus simple à évoquer, ou de tendresse. Comment se mettre en état d’aimer ces personnes qui viennent avec leur conflit, nous chargent de leurs problèmes, parfois en parlant mal, fort, de façon agressive, tendue… Comment les accompagner alors qu’il nous arrive intérieurement de critiquer leur façon de penser et de faire ? Nous avons prétendu en les accueillant que nous étions « neutres et impartiaux », au mieux que nous allions tenter d’être neutres et multi partiaux. Et patatras, dès les premiers récits, cela peut s’effondrer.

Se préparer en méditant ? il existe des méditations guidées pour nous aider à accueillir les personnes en conflit.

Pour d’autres, faire un ancrage, de l’auto-empathie.

Se préparer en relisant ses cours, un article qui nous a marqué, une rubrique qui nous ramène à ce qui fait sens pour nous dans l’acte de médiation.

Se préparer en se concentrant. Se concentrer sur quoi ? Non pas sur le fond, sur le « dossier », « l’histoire », mais sur le fait que je ne sais rien, laisser le temps, « lâcher prise ». S’alléger.

Là encore, chacun sait pour soi.

Être plutôt que faire

Trop souvent associé à ses manifestations négatives et à son escalade qui se caractérise par sa violence née d’une confusion entre les problèmes et les personnes, le conflit est tu, évité, instrumentalisé, laissant place à des discours qui cherchent à démontrer et convaincre. Et si ce matériau vivant constituait à la fois un terreau et un jardin à

De nombreux médiateurs témoignent, au sortir d’une médiation : « Je n’ai rien fait ! » ; auxquels nous répondons « C’est cela la médiation ! », ce simple fait d’être là, au côté des personnes.

Quels « éducatifs » pour aboutir à cet état d’être ? En formation nous avons des exercices sur l’écoute, le questionnement, l’art de restituer, reformuler, synthétiser … Ce n’est pas cela dont je parle. Cela, ce sont les outils. Je peux toujours croire qu’ils suffisent.

Ils servent bien d’appui … mais… Il y a moi, sujet, médiateur

Comment puis-je

Comment puis-je devenir « a-jugeant », pouvoir offrir le regard positif inconditionnel de Carl Rogers ? Une « une affection empreinte de chaleur, sans possessivité ni égoïsme ». Et comme ce regard positif inconditionnel semble impossible à « tenir », Rogers l’adoucit en indiquant que ce regard est « souhaitable », tout en étant conscient de la difficulté.

Comment puis-je, avec François Balta,construire une qualité de relation interpersonnelle incluant une acceptation inconditionnelle, un encouragement à l’expression des pensées, émotions, ressentis, une absence de tout jugement de valeur (ou des émotions qui les accompagnent !) et une recherche obstinée d’un sens positif et valorisant… ?

Comment puis-je, avec Gary Friedman, « descendre » dans ce V qu’il décrit et traverser mes jugements, à l’écoute de mes sensations physiques pour atteindre mes émotions, traverser la colère, la peur, la tristesse pour pouvoir me connecter avec les personnes ?

Etre pour moi médiateur serait donc tendre vers ce regard positif inconditionnel le plus souvent possible au cours de la médiation. Avoir conscience que je m’en éloigne, repérer de plus en plus rapidement que je suis entrain de juger, apprécier, ne pas apprécier, entrer en résistance, faire pression envers les personnes que j’accompagne et être capable d’y revenir rapidement, par une sorte de gymnastique de l’esprit et du cœur qui me ramènerait de plus en plus vite vers cet état.

Alors, comment faire ?

En observant, dans la vie quotidienne, au fil des jours, en dehors de l’espace de médiation. Observer mon écoute, mon propre mode de questionnement, mes constants jugements.
Me contraindre parfois, dans des lieux incongrus – un de mes terrains favoris de travail est le métro parisien – à regarder chaque être avec bienveillance, lui trouver une chose positive. Imaginer une phrase valorisante pour cette personne.

Et bien sûr, aller en analyse de pratique et en supervision.
Partager entre pairs nos difficultés à « être » ce médiateur …

Là encore, chacun sait… pour soi.

Sylvie Adijes

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