Les chroniques d’Interstices Médiation #1
Les interstices de l’autorité : chronique d’une tension entre désir et Loi
Que se passe-t-il dans les interstices de l’autorité ?!
Pourquoi choisir de démarrer ces chroniques en 2019 avec la question de l’autorité ? Peut-être précisément car elle émerge au croisement de tensions qui sont à la fois d’une grande actualité et qui ont toujours traversé l’humanité depuis que l’homme parle et est un sujet de langage.
Autoritévient de Auctoritas, de aucteur, qui désigne l’auteur de, ce qui accroit (augere), ce qui fonde, qui est à l’origine, au principe de…
L’autorité se situe à cet endroit d’articulation entre verticalité et horizontalité, ce qui sous-tend que l’autre soit un égal (en tant que sujet de parole) et en même temps fondamentalement différent et à une place différente.
Symptôme du pouvoir, pouvoir du symptôme
Lorsque nous sommes sollicités en tant que médiateurs dans des organisations, il est fréquent que les personnes ne sachent plus comment se sortir d’une impasse qui pourrait s’imager par une scène dans laquelle se joue un acte sans issue : une tirade qui se répète entre le « symptôme du pouvoir » et le « pouvoir du symptôme ».
C’est à dire ? Ceux qui se situent du côté du pouvoir hiérarchique peuvent souffrir du « symptôme du pouvoir » : ils confondent la fonction de chef, celle qui incarne le principe du manque, avec la personne qui occupe passagèrement la place en pensant que le pouvoir se garde tel un pré-carré à faire respecter alors que s’il y a bien une chose qui se délègue c’est le pouvoir. Ceux qui ont un lien de subordination n’ont plus qu’à réagir et résister en se saisissant eux du « pouvoir du symptôme ».
Comment alors, en étant garant de l’institution, c’est à dire en se situant du côté de la Loi, mobiliser son pouvoir d’agir pour faire émerger le désir et la créativité à la fois des sujets et des collectifs et ainsi impulser des rapports de coopération, d’interdépendance et d’intelligence collective ?
Faire autorité : considérer le mal entendu et le conflit comme constitutifs de toute relation durable et créative.
Trop souvent associé à ses manifestations négatives et à son escalade qui se caractérise par sa violence née d’une confusion entre les problèmes et les personnes, le conflit est tu, évité, instrumentalisé, laissant place à des discours qui cherchent à démontrer et convaincre. Et si ce matériau vivant constituait à la fois un terreau et un jardin à cultiver ? Cultiver le conflit consisterait à faire de la place à l’émergence d’une parole vive, une parole qui exprime et entend les préoccupations de chacun, les enjeux, les valeurs, le sens, l’ambivalence, le désir, la demande réelle et parfois l’impossible.
Faire une place à chacun, et pour autant, pas au même endroit. Entendre le « même-m’aime » n’est pas céder au même.
Faire autorité : acter l’égalité de parole et l’inégalité de place
Séparer, permettre à chacun d’exister séparément
Nés dans le langage, tous les mots que nous utilisons sont intimement liés à notre expérience subjective : il y a autant de perceptions que de sujets, autant de vérités que d’expériences, autant d’impossibles à dire et à comprendre. Parce que nous parlons, nous avons fondamentalement à faire avec le manque.
Ce que le sujet ne veut pas savoir (de sa division), il va se débrouiller soit pour l’attribuer à l’autre, pour le lui faire porter, ou encore, en le niant, va se fondre dans le désir de l’autre et en rester l’objet. Ce qui revient à peu près au même : rendre l’autre responsable et rester dans la jouissance, idéaliser l’autre et rester soumis à son désir, tenter de s’en dégager en étant en réaction, pris dans les mailles du même filet. Se dégager du filet, pour celui qui fait autorité, revient à savoir que toute demande est une demande d’amour. Décider – trancher, séparer- c’est accepter la perte et l’impossibilité à combler le manque. L’impossibilité du même-m’aime contribue au renoncement à la toute puissance et à l’égalité de place.
Ne pas répondre à la demande apparente (une position, une injonction), c’est acter que l’autre est radicalement autre, qu’il occupe une place autre, c’est donner de la place aux sujets en faisant apparaître les écarts. Assumer la dissymétrie revient fondamentalement à être du côté de la Loi.
Rendre possible l’émergence du désir et d’une parole entre sujets – à égalité de parole- c’est permettre de trouver ces chemins de passage dans les interstices des discours et des résistances. Cela requiert de suspendre sa propre propension au discours, qui n’a souvent d’autre fonction que de venir boucher, de ne pas entendre.
Suspendre toute tentative d’argumentation ou de persuasion :
Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté
Hannah Arendt
Hannah Arendt disait, « là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté ». Il est en effet inutile de chercher à convaincre, à moins de vouloir faire l’effet inverse : créer de nouvelles résistances.
Écouter en incarnant une certaine autorité requiert un pas de côté supplémentaire : ne pas non plus chercher à comprendre ni solutionner. S’il est impossible de comprendre l’autre, de l’espace peut être créé pour faire naître et dialoguer des vérités subjectives en lieu et place de la recherche du vrai.
L’autorité serait donc un processus, un principe actif d’un certain ordre et d’une certaine libération. Elle permet de transmettre du commun tout en autorisant chacun à être auteur d’expériences créatives, subjectives, sans cesse renouvelées. Elle permet de relier les sujets au collectif, dans une recherche de commun en constante évolution, tout en étant séparés. Elle permet de faire émerger une intelligence collective au service des défis d’aujourd’hui, et notamment au travail.