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De la mauvaise foi

Les chroniques d’Interstices Médiation #3

Il est de mauvaise foi, tu es de mauvaise foi, je suis de mauvaise foi…
Un grand nombre de médiateurs me disent : « Je n’ai pas pu faire, une des parties était de mauvaise foi ! »
Des avocats me disent : « On ne peut pas aller en médiation avec un confrère de mauvaise foi, ça ne sert à rien. »

La Mauvaise foi, qu’est ce que c’est ?

Selon le dictionnaire,
« Le fait d’affirmer quelque chose tout en sachant que cela n’est pas vrai ».
Larousse
« Déloyauté, duplicité, perfidie »
Robert

A l’inverse, la bonne foi :
« État d’esprit de quelqu’un de sincère, loyal » Larousse,
« la qualité d’une personne qui parle, agit avec une intention droite, avec la conviction d’obéir à sa conscience, d’être fidèle à ses obligations » Robert,

Cependant, la mauvaise foi ne semble pas être traitée comme le simple contraire de la bonne foi.

J’ai donc interrogé un certain nombre des participants à nos formations et groupes d’analyse de pratique. Nous nous sommes penchés, en toute bonne foi bien sûr (sic), sur cette Mauvaise Foi, qui a si mauvaise réputation.

Comment des médiateurs peuvent-ils accueillir la mauvaise foi en restant neutres et impartiaux ? Comment faire avec elle ?

Nous avons donc décidé de balayer devant notre porte pour pouvoir mieux comprendre celles et ceux qui, en médiation, usent de mauvaise foi.

Revisitant les moments où nous avions été de mauvaise foi dans nos vies quotidiennes et professionnelles, nous sommes partis explorer ce territoire où nul ne souhaite s’aventurer. Et où pourtant chacun d’entre nous a finalement sombré un jour ou l’autre. Nous avons pu détecter les moteurs de cette mauvaise foi :

– la culpabilité, la non reconnaissance d’une erreur, la réaction face à une agression, la volonté de paraître sympathique, la protection, la volonté d’avoir raison, la peur d’être pris en défaut (de compétence ou de travail non réalisé en temps et en heures), la peur de perdre la face, le fait de ne pas avoir dit non en amont à une situation, le souhait d’être « gentil » ! La peur donc, très présente, évidente ou dissimulée.

Vous vous reconnaissez peut-être, ou vous avez d’autres réponses.

De fait, la grande majorité des personnes revisitant sincèrement ces moments de mauvaise foi ont exprimé des émotions négatives.

Avant, la mauvaise foi génère stress, doute, angoisse, fatigue, lassitude, découragement – et plus rarement de la fierté !

Pendant, on est mal à l’aise, en colère vers soi et vers l’autre, honteux, on ressent un dégoût de soi – plus rarement on se sent galvanisé.

Après, ce sont la honte, la culpabilité, la gêne, le désarroi, les remords, et le sentiment de faiblesse qui nous envahissent. Et plus rarement la satisfaction.

Ces ressentis négatifs et lourds, cachés aux yeux des personnes envers lesquelles on a été de mauvaise foi, peuvent surprendre.

Les besoins cachés par la mauvaise foi sont reliés à l’estime de soi : le besoin d’être aimé, le besoin de reconnaissance, d’appartenance, le besoin de conserver la confiance de l’autre, de se rassurer. Besoin de dominer, de se valoriser. Besoins d’éviter le conflit, de ne pas montrer ses faiblesses, son incompétence.

Et les conséquences en sont lourdes, tant pour celui qui la pratique que pour celui qui la subit: au minimum, la confiance est rompue, la relation fortement détériorée. La colère peut surgir. Et bien souvent, la pratique de la mauvaise foi a des effets dévastateurs.

Pour certains, la mauvaise foi à petite dose est un signe de bonne santé mentale. Elle est par exemple pratiquée par les enfants lorsqu’ils ont besoin de construire leur image avec l’amour de leurs parents. A l’inverse, chez les adultes qui la pratiquent à haute dose, elle peut cacher une faille narcissique : seraient ainsi de mauvaise foi ceux qui craignent d’être rejetés s’ils se montrent faillibles.

La mauvaise foi serait alors liée à la difficulté de se montrer vulnérable.

Alors que peut faire le médiateur, dans sa posture de tiers, pour « accueillir » cette mauvaise foi ? Pour ne pas se laisser piéger par cette mauvaise foi agaçante?

De quels « outils » ou posture dispose-t-il ?

–          Il peut aller voir « en dessous » ce qu’elle dissimule. Et accueillir les besoins, motivations, préoccupations cachés. La personne a peur de paraître incompétente? Elle ne se sent pas irréprochable ? Comment puis-je l’aider de ma place de tiers à exprimer ses difficultés et à sauver la face ? Elle s’est engluée dans des explications ou des justifications ? A moi, tiers, de créer l’espace pour formuler les choses sous un autre angle. Aider à oser aller voir ce que l’on ne peut ou ne veut pas voir. Stimuler de ma place de tiers cette délicate lucidité.

–          Il peut ainsi émettre des hypothèses positives laissant émerger en quoi telle ou telle situation a mené à cette attitude. C’est donc par ce que je nomme le recadrage, comme un photographe, une autre manière de voir la chose, que le médiateur pourrait faire preuve de bienveillance face à cette mauvaise foi et ainsi ré-ouvrir les portes du dialogue qui se sont souvent fermées sous ce cri « Il est de mauvaise foi, on ne peut pas discuter! »

–          Le médiateur peut également aider la personne qui utilise la mauvaise foi à se projeter vers le futur et les conséquences de poursuivre dans cette voie. La construction de relations durables et de confiance, l’image sociale, la réputation ne peuvent faire affaire avec la mauvaise foi. Mesurer son impact sur la relation peut permettre à la personne de prendre un autre chemin.

–          Le médiateur peut également favoriser par ses questions l’émergence des critères objectifs. Ceux-ci ramèneront les personnes vers une zone de discussion possible, sans pour cela faire perdre la face à la personne qui était de mauvaise foi.

–          Enfin, l’espace confidentiel de médiation offre la possibilité, une fois la personne en confiance, de reconnaître son erreur, ses manquements.

Il est fréquent, notamment dans les médiations touchant au travail, au comportement managérial, à un ressenti de harcèlement ou de discrimination, que des personnes s’excusent. Qu’elles expliquent leur comportement, par leur propre vision, leur propre difficulté. Et ainsi, l’écart entre les représentations – où souvent chacun affuble l’autre de mauvaise foi, peut être mis à jour.

La médiation offre donc un espace pour que la mauvaise foi puisse trouver sa place et être accueillie et transformée.

Il appartient au médiateur de ne pas tomber dans le jeu des personnes qui la dénoncent comme une impossibilité de faire médiation. Et de la prendre pour ce qu’elle est, un moyen humain – et le plus souvent non souhaité – de faire face à une difficulté.

Sylvie Adijes

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